Aveugle de naissance, informaticienne, mère et championne de ski, Natacha de Montmollin est la preuve que l’on peut tout faire sans la vue. Elle propose des ateliers pour «voir autrement»
Natacha de Montmollin touche le monde pour qu’il lui apparaisse. Sa vision se compose via l’épiderme. Le jaune, c’est la chaleur du soleil sur sa peau. Le vert, le chatouillement de l’herbe sous ses orteils. En écoutant les paysages, elle se crée des plans tactiles et auditifs. Son regard bleu pastel transperce mais elle ne verra jamais le spectre des couleurs. La Neuchâteloise est aveugle en raison d’un manque d’oxygène à la naissance.
Avec sa société, Step 2 Blind, elle propose aux autres de «fermer les yeux pour mieux regarder». Un moyen de partager sa vision, qu’elle construit du bout des doigts. Repas dans le noir, balades, ateliers de cuisine ou visites de musées les yeux bandés. On peut tout faire sans voir est son credo. Natacha de Montmollin est informaticienne, mère de trois enfants et multiple championne de ski. Elle a notamment remporté la médaille d’or aux Jeux paralympiques d’Alberville en 1992.
«Mon histoire est toute simple, je veux juste vivre comme tout le monde. J’ai été la première élève aveugle à être intégrée à une classe normale en Suisse», relate cette battante. Elle hérite de la ténacité de sa mère qui n’a pas hésité à déposer plusieurs recours au Tribunal fédéral pour que sa fille puisse bénéficier d’un matériel scolaire adapté. Depuis bientôt cinquante ans, cette femme énergique tente de faire sauter les préconceptions sur les personnes non voyantes. Sur sa chaîne Youtube, elle raconte comment procéder pour faire un feu, jouer aux échecs, utiliser un ordinateur, reconnaître l’argent ou lire l’heure sans voir. Et d’expliquer que son téléphone lui lit les messages et les e-mails et qu’il mentionne la lettre du clavier sur laquelle elle appuie, afin de composer les messages.
«Quand on ne veut pas suivre les sentiers balisés, on se heurte parfois à des gens sceptiques qui ont peur qu’on leur donne plus de travail, image-t-elle. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment.
« Les gens qui nous font avancer sont parfois ceux qui nous mettent des bâtons dans les roues »
glisse-t-elle dans un sourire. La sportive se rappelle d’un prof de gym qui ne voulait pas d’handicapé·es dans la salle. «Il m’envoyait faire de la corde à sauter dans les vestiaires et me donnait des punitions en classe,
alors que je faisais déjà du ski en compétition à l’époque, se remémore-t-elle. Je ne pouvais pas trouver de meilleure motivation que celle de lui prouver que j’étais capable de gagner des compétitions.»
Faire ses preuves au quotidien
Les critiques les plus acerbes, elle les a essuyées en devenant mère. «Le plus dur c’était quand les enfants étaient petits. Les gens ne pouvaient pas imaginer que je puisse m’en occuper sans la vue. C’est fatiguant de
devoir prouver tous les jours ce dont on est capable, sur le plan professionnel ou familial. Grâce à l’anticipation et beaucoup de concentration, je m’en suis toujours sortie.»
Elle apprend par cœur la configuration des places de jeux et fait en sorte que ses enfants restent dans son champ d’audition. «Même quand on ne rangeait pas notre chambre, elle le savait toujours», rapporte Méline, qui a aujourd’hui 18 ans, dans un sourire. Sa maman pratique et enseigne l’écholocalisation. «Quand un son arrive contre un objet, il revient sous forme d’information», détaille-t-elle. Grâce au bruit, elle comprend à quelle distance se trouve un objet et quelle est sa forme. Une technique que son entreprise transmet aussi dans le cadre d’ateliers. «Les gens
arrivent en peu de temps à savoir par exemple dans un couloir si les portes sont ouvertes ou fermées. C’est un moyen de développer de nouvelles compétences. C’est utile au quotidien, nous avons ainsi plus
d’informations.»
Fermer les yeux pour mieux regarder
C’est justement sa vision à portée de tympans et de doigts que l’entrepreneure cherche à transmettre via Step2Blind. «Ce n’est pas juste se mettre dans la peau d’un·e aveugle mais de partager la richesse des autres sens avec les voyant·es», explique-t-elle. «Dans une société où l’on
court tout le temps, lorsque les gens ont les yeux bandés, ils ralentissent, communiquent et collaborent différemment», témoigne-t-elle. Sans la vue, certains a priori s’effacent, accorder sa confiance devient nécessaire.
Step2Blind propose des ateliers dans les entreprises pour consolider le travail d’équipe, intervient dans les écoles ou dans le cadre de manifestations. Une balade sensorielle aura lieu samedi à Chambrelien (NE) dans le cadre des 111 ans de la Fédération suisse des aveugles, si la météo est clémente.
En fermant les yeux, les portes d’un autre monde s’entrouvrent. Lors d’un repas dans le noir, un homme lui confie qu’il a eu un échange très intense comme il en a rarement avec un autre participant. Alors que s’il avait vu sa tête, jamais il ne se serait assis à côté de lui.
Natacha de Montmollin relate aussi sur son site internet, le commentaire d’une adolescente rencontrée dans une école:
«Avec vous, on n’a pas besoin d’avoir des complexes. On peut être moche ou boutonneux, vous ne nous regarderez pas de travers.»
Dates des événements sur www.step2blind.ch
Journal Le Courrier du 2 septembre 2022, écrit par JULIE JEANNET