«Bon, on ne voit rien, mais au moins ça rigole!» «Tu es stressée?» «Quoi? On ne peut même pas prendre sa montre?» Dans l’entrée de la cabane du club cynologique d’Yverdon, on s’inquiète. Plus que quelques minutes et le petit groupe rejoindra la salle où les attendent quelque soixante convives pour manger. A un détail près: le repas se déroulera dans le noir le plus total, sous l’égide de Natacha de Montmollin, fondatrice de l’association Blindlife et instigatrice de ces repas à l’aveugle dans la région.
La porte s’ouvre. A la queue leu leu, ces non-voyants d’un soir pénètrent dans la salle en tâtonnant. Premier choc: le bruit. «C’est typique, note Natacha. Lorsqu’on perd un sens, on en développe un autre. Les gens parlent toujours très fort.» On s’assied tant bien que mal, espérant retrouver sa place au moment où on ira chercher son assiette. C’est que les organisateurs mettent leurs clients à l’épreuve. «Le but est que les gens se débrouillent seuls, poursuit Natacha. De faire tomber les préjugés, car il y a un manque d’information sur la vie des non-voyants. Même si les mentalités ont évolué, il n’est pas rare de voir encore des gens choqués parce que nous avons des enfants.»
S’ensuit le repas et son cortège de maladresses. Bouteilles renversées, verres qui s’entrechoquent, bousculades, l’ambiance est plutôt bon enfant. «C’est fou comme on parle avec les gens. Le fait de manger dans le noir fait tomber des barrières», note une participante venue du Valais avec des amies.
Place au repas. Dans l’assiette, du rôti et des pâtes. «Moi, je m’en fiche, je mange avec les doigts!» entend-on. Au dessert, les lumières se rallument. Un peu groggy, les invités découvrent leurs voisins en clignant des yeux et échangent leurs impressions. Au final, certains seront venus fêter un anniversaire, d’autres pour tenter l’expérience ou encore simplement manger avec les doigts. Tous auront vécu, l’espace de trois heures, un peu de la réalité de Natacha.
Témoignage des participants
Sylvain Locatelli, Mézières.