Voyage au pays déconcertant des aveugles

Journal du Nord Vaudois du 9.2.2004

Repas de soutien à l’association créée par l’Yverdonnoise Natacha de Montmollin. Une septantaine de personnes se sont glissées dans la peau d’un non-voyant, le temps d’une soirée organisée par Blindlife. Une expérience étonnante dans un monde où disparaissent la plupart de nos repères habituels

Natacha de Montmollin (ici en compagnie de sa fille, Solène) avait également apporté quelques objets qui font partie du quotidien des non-voyants.

Une septantaine de personnes se sont glissées dans la peau d’un non-voyant, le temps d’une soirée organisée par Blindlife. Une expérience étonnante dans un monde où disparaissent la plupart de nos repères habituels.

Privés de leur téléphone portable, dépossédés de leur montre à cadran phosphorescent et de toute autre source potentielle de lumière, une septantaine de personnes attendent patiemment dans le hall de la cabane du club cynologique d’Yverdon. Beaucoup plaisantent. Mais sur leur visage se lit parfois une certaine appréhension. Dans quelques minutes, et pour le temps d’un repas de soutien à l’association Blindlife, ils seront aveugles!

L’expérience a quelque chose d’angoissant. Ceux qui ont visité le pavillon Blindekuh sur l’arteplage de Morat savent de quoi il s’agit. Il est en effet difficile d’imaginer vraiment les impressions que l’on peut ressentir une fois plongé dans une obscurité totale. «Ce n’est qu’après avoir pénétré dans la salle que j’ai réalisé que je ne verrais vraiment rien», constate Emmanuel, après que les lumières de la ville sont revenues.
Il vaut donc mieux y être préparé. Du reste, la seule personne a avoir été prise de panique – ressorti peu après avoir pris place à table, cet homme a par la suite vaincu sa peur et a pris le dessert dans la nuit –, n’avait été mise au courant de la situation que dans la voiture la conduisant sur le lieu de la manifestation.
Il a ainsi rejoint la septantaine de convives qui ont partagé pendant plus de trois heures le quotidien de Natacha de Montmollin, responsable de l’association. Une expérience étonnante au cours de laquelle il est extrêmement difficile de réaliser des actes pourtant banals de notre quotidien comme couper sa tranche de viande ou mettre la main sur son morceau de pain… ou sur celui du voisin. «Au fait, je l’ai finie cette tranche ou est-elle tombée par terre», s’interroge-t-on à une table voisine. «Au début du repas, j’ai déposé mon verre de vin. Je ne l’ai retrouvé qu’une fois les lumières rallumées, rigole de son côté Annick.

LE TON MONTE

Une fois attablé, chacun tente pourtant de trouver des petits repères, se raccrochant notamment à la provenance de la voix des autres. Mais ils disparaissent immédiatement, quand il s’agit de se rendre au bar pour s’emparer du plat principal. Et dans le noir absolu, les distances et les directions deviennent très vite anecdotiques et hasardeuses… Seul inconvénient – minime – de la soirée, ce monde de l’obscurité totale n’était pas celui du silence, cher au commandant Cousteau. Le niveau sonore est en effet monté très rapidement. A l’habituel effet de masse est ainsi venu s’ajouter un autre aspect qu’il est difficile d’envisager sans y être directement confronté: «Comme les gens ne peuvent accrocher ceux à qui ils s’adressent par un regard, ils parlent plus fort», note Natacha de Montmollin. L’Yverdonnoise aujourd’hui établie à Corcelles (NE) s’y attendait pour en avoir déjà fait l’expérience lors d’un repas similaire, mais à plus petite échelle, organisé dans la cave d’un ami.
La solution passe peut-être par le choix d’une salle qui absorbe au maximum les sons. Ce petit désagrément n’a néanmoins en rien entaché le déroulement d’une soirée inoubliable. Et beaucoup auront sans doute éprouvé un petit pincement au cœur lorsque des bougies les ont ramené dans le monde des voyants, laissant Natacha de Montmollin seule dans le noir…
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